Lourdement frappée par la crise financière, Chypre s’est résolue à demander de l’aide. Deux demandes ont été lancées en parallèle: l’une auprès de l’UE et l’autre auprès de la Russie.

Cette demande de prêt russe pose question pour les partenaires européens de Chypre. Pourtant, elle n’a rien d’étonnant vu les liens étroits que maintiennent Chypre et la Russie.

Crise financière et économique

Le secteur bancaire chypriote va mal. Or, l’économie chypriote est fondée sur une activité bancaire qui représente environ 8 fois la taille du PIB national. Cette situation particulière, mais également la surexposition du secteur à la dette publique du voisin grec, font que le gouvernement ne peut faire face à la recapitalisation de ses banques et aux échéances des remboursements de 2013.

Bank of Cyprus
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La récession, un chômage de plus de 10 % de la population active, l’impossibilité d’emprunter sur les marchés internationaux depuis le printemps 2011 (vu les craintes provoquées par la dette grecque) et la dégradation de sa cote par les trois principales agences de notation sont autant de facteurs difficiles à gérer pour le gouvernement chypriote.

Depuis un an, l’île a découvert la rigueur : gel des embauches, création de cotisations retraite pour les fonctionnaires, baisse des dépenses sociales, hausse de la TVA de 15 % à 17 %.

Pourtant, les mesures prises sont jugées insuffisantes. La Commission européenne a publié le 30 mai dernier une évaluation de la situation. Par la suite, le Conseil a adopté une série de recommandations à l’adresse du gouvernement chypriote. Elles portent, notamment, sur le système de santé, la modération salariale ainsi que sur le recouvrement de l’impôt.

Demandes d’aide

La Chypre a introduit une première demande d’aide le 25 juin dernier auprès de l’Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI). Aucune information concernant le montant et les modalités de ce prêt n’a encore filtré. Des négociations sont actuellement en cours entre Chypre et la troïka (la Commission, la Banque centrale européenne (BCE) et le FMI).

Mais l’île redoutait tellement le renforcement de la politique d’austérité requise par la troïka et, par conséquent, la perte de contrôle sur ses propres politiques économiques qu’elle a recherché des sources de financements parallèles afin d’en alléger les effets; d’où la demande de prêt auprès de la Russie.

Cette deuxième demande, d’un montant de cinq milliards d’euros, fut déposée le 5 juillet 2012 auprès de la Russie. Cette dernière ne s’est pas encore prononcée et réserve sa réponse.

Liens étroits

Cette demande de crédit auprès de la Russie est en réalité la deuxième, Chypre ayant déjà bénéficié en 2011 d’un premier prêt russe de 2,5 milliards d’euros au taux de 4,5 % annuel.

Elle découle des liens étroits qu’entretiennent Chypre et la Russie.

Le 4 juillet dernier, le président chypriote Christofias déclarait devant la presse: “Chypre en tant que pays de la Méditerranée, habité par des orthodoxes chrétiens, a des liens traditionnels et culturels avec la fédération russe qui remontent à très loin.”

Entre 35 000 et 40 000 expatriés russes se sont installés à Chypre. Ils constituent une communauté importante qui dispose d’écoles, de stations de radio, de magasins aux enseignes russes Ces expatriés participent à l’économie chypriote. Ils investissent dans l’immobilier de l’île, de même que de nombreux non-résidents russes.

D’un point de vue politique, la Russie apporte son soutienà Chypre au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.

D’un point de vue économique et financier, les liens sont également très étroits. Le tourisme de l’île doit beaucoup aux touristes russes qui viennent y dépenser leur argent. Depuis la crise, les touristes européens se sont raréfiés mais les touristes russes ont vu leur fréquentation augmenter de 50 % durant l’été 2011. Ce tourisme assure de confortables rentrées pour le commerce chypriote.

Chypre est considérée comme un centre financier offshore vu le faible taux d’imposition auquel sont assujetties les sociétés sur l’île (10 %). De nombreux investisseurs russes créent des sociétés écrans pour profiter de ce taux et échapper ainsi au fisc russe. Une grande partie de cet argent est ensuite rapatriée en Russie. Les chiffres fournis par le gouvernement chypriote parlent d’eux-mêmes:

–          durant l’année 2011, les entreprises russes ont investi pour environ 78,2 milliards de dollars à Chypre (environ un tiers des investissements étrangers effectués à Chypre sont d’origine russe);

–          durant le seul mois de janvier 2012, 1 400 demandes d’enregistrement ont été déposées par des sociétés russes qui souhaitent s’implanter ou développer leurs activités à Chypre;

–          durant les 3 premiers mois de l’année 2012, les investissements “chypriotes” en Russie se sont élevés à 68,9 milliards de dollars (Chypre fait partie des plus importants investisseurs en Russie).

Plus de 25 % des dépôts bancaires dans les banques chypriotes proviennent de ressortissants russes. Une étude menée par Standard & Poor’s a examiné les dépôts des non-résidents chypriotes. La conclusion est que la majorité de ces dépôts proviendraient de transactions effectuées par des sociétés établies dans la Communauté des États indépendants  (CEI), et seraient liés à des exportations de pétrole et de métaux.

Une étude des 5 plus grands hommes d’affaires russes démontre clairement l’importance de Chypre: tous ont élaboré des montages financiers particuliers incluant des sociétés enregistrées à Chypre. Ce biais est pour eux fondamental afin, notamment, de se garantir un accès facile aux bourses européennes. En 2011, un total de 6 milliards d’euros a été échangé à la bourse londonienne par 17 entreprises russes et ukrainiennes enregistrées à Chypre.

Enjeux stratégiques

Outre ces liens culturels, politiques et économiques, certains enjeux bien spécifiques pourraient pousser la Russie à accorder ce prêt.

L’île est stratégiquement située à proximité du Moyen-Orient.

Des sources diplomatiques européennes évoquent l’idée qu’en contrepartie du prêt, la Russie pourrait demander l’installation d’une base militaire sur l’île. Vu la situation syrienne, il est possible que la Russie soit contrainte d’abandonner sa base navale de Tartous. Dans ce cas, Chypre pourrait constituer une alternative très valable.

De nombreux gisements gaziers viennent d’être découverts dans les eaux territoriales chypriotes. Ainsi, malgré ses difficultés actuelles, Chypre pourrait rêver d’un avenir meilleur.

Mais la situation est complexe.

Ces gisements sont très proches de la partie nord occupée par la Turquie qui conteste la légitimité de l’exploitation de ces gisements et argue que celle-ci pourrait porter atteinte au processus de réunification de l’île.

Cependant, malgré les contestations turques, des accords ont déjà été conclus par Chypre avec la société américaine Noble Energy afin d’explorer les gisements. Les prospections, menées en septembre 2011, ont permis d’identifier des ressources très importantes, soit 450 milliards m3 de gaz.

Vu le fait que plusieurs sociétés russes s’étaient portées candidates à l’époque, il est probable qu’un rééquilibrage devra être effectué. La Russie pourrait utiliser ce prêt comme levier et y consentir en échange de droits d’exploitation des gisements chypriotes.

Alors que Chypre vient d’accéder à la présidence semestrielle européenne, les négociations se poursuivent en parallèle.  Aucune décision n’a encore été rendue par l’une ou l’autre partie en présence.

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